MOLIERES
(Commune du canton de Beaumont-du-Périgord)
Molières fait partie de ces villes du sud-ouest créées au XIIIe siècle par les rois, anglais ou français, et appelées bastides. Celle-ci fut fondée en 1285 par Edouard Ier d'Angleterre.
Avant la bastide existait une église, et une paroisse qui portait le nom de "sancti Johannis de Molarii". Elle est mentionnée en 1115 dans un acte de donation concernant l'abbaye de Cadouin. Il ne reste aucune trace de l'église, mais elle apparaît (ruinée) sur la carte de Cassini au XVIIe siècle, ce qui nous permet de la situer à l'emplacement du cimetière actuel au nord du bourg. D'ailleurs, le lieu porte encore le nom de Saint-Jean.
L'usage de désigner un lieu par un nom de saint s'est surtout développé à partir du XIe siècle. Et dans la plupart des cas, on accolait à l'hagionyme un déterminatif, qui permettait de différencier et de situer instantanément la paroisse en question. Si l'on prend le cas de Saint-Jean, le Dictionnaire Topographique de la Dordogne en recense plus de trente cinq, il était donc nécessaire de les personnaliser. Mais cet ajout avait aussi une autre fonction, il indiquait l'appartenance de la paroisse.
Parfois on y adjoignait un nom de rivière ou de ruisseau comme dans Saint-Jean-de-Cole, Saint-Vincent-sur-L'isle, et bien d'autres, mais dans la majorité des cas c'est le nom d'un lieu voisin, ou de la région qui prime.
Dans le cas qui nous intéresse, le lieu voisin de Saint-Jean au XIIe siècle est Molières. Ce nom, qui est probablement antérieur à Saint-Jean, devait désigner un hameau ou un village d'une certaine importance à l'époque, puisque Saint-Jean en dépendait.
L'explication et la situation de ce hameau se trouvent semble-t-il à la fois dans l'étymologie de Molières, dans celle du Titulaire de la paroisse saint Jean-Baptiste, et le renfort d'un toponyme assez significatif.
Commençons par l'étymologie.
Molières dérive du latin moliera, qui selon Frédéric Mistral désignait à l'époque romane, un champ cultivé où l'on voit sourdre de petites sources, un terrain mou, ou un lieu bas où les eaux croupissent. Dans d'autres régions de France le toponyme Molière est synonyme de marais (1). Si l'on y ajoute l'expression : La moulièro a tua de blad, l'humidité a fait mourir le blé, il est clair que ce mot désigne des lieux humides, marécageux. Dans ce cas, moliera ne peut pas s'appliquer à la colline où sera bâtie plus tard la bastide, mais plutôt aux vallons qui l'entourent .
Une carte ancienne, dressée par l'abbé Bruguière (2), nous indique qu'en dehors de la bastide existait autrefois, un lieu appelé La Ville Basse, et un lieu l'Hôpital (Claud de l'Espital), dans le même secteur. C'est là qu'il faut chercher la cause du nom. Car il est indéniable que l'hydrographie est particulièrement importante. Ce même abbé cite plusieurs ruisseaux entourant la ville, celui de Saint-Jean appelé aussi Pisserat, qui prend sa source près de la ville et se jette au nord de la commune dans le Bélingou, le Cousage (Le Roumaguet aujourd'hui) qui borde la commune au sud. Viennent s'ajouter plusieurs fontaines qui alimentaient à la fois ces ruisseaux mais également la ville : la fontaine de la Croze, la Font de la ville, et bien d'autres encore qui rendent le site particulièrement bien fourni en eau. Dans l'un des vallons, poussent encore de nos jours ajoncs et autres plantes aquatiques. Ne cherchons pas plus loin l'origine du nom. Le petit hameau de Molières a d'abord été implanté prés des sources.
Maintenant attachons-nous à trouver pourquoi le lieu Molières prédominait Saint-Jean. Le lieu l'Hôpital, dans une paroisse patronnée par saint Jean-Baptiste nous interpelle. Car ce toponyme revêt une importance capitale quand il est associé à ce saint. L'un est l'autre rappelle l'ordre des Hospitaliers, autrement appelés les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ordre dédié à saint Jean-Baptiste. Les fondations de cet ordre sont restées dans la toponymie sous le nom l'Hôpital. Il en est ainsi à Belvès, Saint-Nexans, Saint-Léon-sur-Vézère, Celles, Angoisse, Bertric-Burée, Cherveix-Cubas, Condat-le-Lardin et la liste n'est pas exhaustive. Toutes ces communes sont d'anciennes possessions de l'ordre des Hospitaliers, où l'on relève un lieu-dit : l'Hôpital.
Une historienne locale indique dans son fascicule sur Molières que ce modeste établissement accueillait les voyageurs suspectés de maladies contagieuses. Si l'on ajoute à cela que le territoire de Molières était traversé par deux anciennes voies gallo-romaines, dont l'une passée prés de l'Hôpital, tous ces détails plaident en faveur de la présence des Hospitaliers dans ce coin perdu de la Bessède (3000 ha de forêt au Moyen-Age). Et dans cette hypothèse, nous avons là l'explication de la prépondérance du nom Molières dès le XIIe siècle.
L'ordre des Hospitaliers a été créé en 1050 à Jérusalem, mais dès sa création cet ordre a possédé des domaines en France. Parfois de simples établissements routiers, comme il en fut probablement le cas à Molières. La commanderie qui avait autorité en Périgord se trouvait à Condat-le-Lardin, laquelle, dès le XIIe siècle apparaît dans les Archives du Grand Prieuré de Toulouse.
Molières n'apparaît pas dans l'état des sites hospitaliers, mais les archives de cet ordre en Périgord étant pratiquement inexistantes jusqu'au XIIIe siècle, il est certain que tous les établissements ne sont pas répertoriés.
Quoiqu'il en soit, le toponyme Molières a fini par effacer celui de l'ancienne paroisse Saint-Jean. Le nom apparaît seul à partir du XVe siècle (Moulières en 1482). Pourtant dans la charte de la fondation de 1285, Edouard d'Angleterre, précise bien "bastida sancti Johannis de Molerii". Ceci sous-entendant que la bastide devait prendre le nom de l'ancienne paroisse. C'est un fait rarissime, car dans la majorité des cas, le nom du saint s'est fortement maintenu dans les noms de villages ou de villes. Mais à Molières, le nom de l'ancienne paroisse s'est amenuisé à mesure que l'influence de son église périclitait ; celle de la ville étant plus spacieuse et plus moderne à l'époque. L'église n'existe plus mais saint Jean-Baptiste est quand même resté le patron de la paroisse. L'église de la bastide est sous le patronage de Notre Dame de la Nativité.
En conclusion, le site de Molières, totalement isolé au Moyen-Age dans l'immense forêt de la Bessède, doit son peuplement à la présence de sources et ruisseaux essentiels à la vie, aux anciennes voies de communication, et à la présence d'un hôpital chargé de soigner et d'héberger les voyageurs. Plus tard, la bastide n'arrivera pas à cristalliser assez de population pour que la ville se développe. Molières restera toujours un village modeste, mais sa sérénité est attrayante de nos jours. C'est un magnifique village dont le nom reflète la nature des sols environnants. Le nom était évident. Il "coulait de source".
C.B
NOTES
1). Voir tableau de la géographie de la France. Paul Vidal de la Blache. CNRS
2). Voir les cahiers de l'abbé Bruguière aux Archives départementales de la Dordogne.
La Ville Basse et l'ancienne voie reliant Molières à Cadouin
Source du ruisseau de Saint-Jean dans le vallon