Le Territoire des Pétrocores
Depuis la fin du XIXe siècle, les historiens ont essayé de retrouver les limites de ce que fut le territoire des Pétrocores, tribut gauloise qui a laissé son nom au Périgord, et ils sont tous à peu prés d'accord pour convenir que les limites actuelles du département de la Dordogne sont sensiblement les mêmes que celles de l'époque antique.
La toponymie et l'hagiographie ouvrent de nouvelle perpective dans le domaine de la recherche historique lorsque les documents d'archives font défauts. L'étude des noms de lieux et celles des titulaires et patrons de paroisses permet d'étayer la thèse des historiens concernant les frontières de la Civitas.
Plusieurs toponymes répartis sur les zones limites du département actuel, semblent indiquer que le pays des Pétrocores est resté à quelque chose prés le même depuis l'antiquité.Parmi ceux-ci, deux sont très connus : Eygurande, et Firbeix.
Eygurande : (Ayguiranda XIe siècle). Toponyme assez fréquent sur le territoire français, sous différentes formes : Aigurande, Eguérande, Iguerande. Le sens en est aujourd'hui formellement reconnu : limite territoriale. Xavier Delamare dans son dictionnaire de la Langue Gauloise (1), pense qu'il s'agit d'un composé gallo-romain tardif, bien que le second élément randa, soit un mot purement celtique et se retrouve dans une multitude de noms de lieux indiquant des frontières. Chamarandes (Hte Marne), Chamerande (Ain) Randan (Puy-de-Dôme) etc. Les formes de l'époque médiévale oscillent entre ico-randa, equo-randa.
Firbeix : Firbès XIIe siècle. Connu comme étant la station Fines (2) de l'Itinéraire d'Antonin, entre Vésone (Périgueux) et Augustoritum (Limoges). Le toponyme Fines de l'époque gallo-romaine indiquait la frontière entre deux Cités. Firbès>Firbeix est la forme avec métathèse du latin fiber(3) : qui fait fin, synonyme du latin finis : fin, frontière.
Eygurande et Firbeix nous donnent donc les limites des zones nord et ouest du département actuel. Nous verrons un peu plus loin que d'autres éléments se rajoutent à ces étymologies et viennent les confirmer.
En ce qui concerne la zone sud et la zone est, la forme ancienne du nom Eyrenville, village situé à l'extrémité Sud du département, semble apporter une explication pour la partie Est du département où se situe un village nommé Orliaguet. (voir carte 2).
Eyrenville : Aurevilla, 1053. La forme ancienne est un nom composé de Aura, variante graphique du latin ora, rivage, marge, bordure, limite, qui a donné le français orée, bord, lisière d'un bois, et du latin villa, qui désignait un domaine campagnard. Dans ce cas Eyrenville, signifie : village de la bordure.
Orliaguet : Aurlhaguetum en 1328. Nom composé dans lequel on retrouve la racine Aura/Ora-, qui a aussi donné le bas latin orlum, d'où orle = lisière, et le français = ourlet. La position du village correspond assez bien à cette étymologie, toutefois on ne peut pas exclure une forme diminutive de Orliac, venant du nom d'homme latin Orilius ou Aurelius + suffixe acum, désignant la villa d'un nommé Orilius ou Aurelius. Un village nommé Orliac existe bien près de Belvès, mais la distance entre les deux explique mal la forme diminutive. En règle générale, les villages ayant un nom dérivé d'un autre lieu se situent à proximité.
Aurimont : lieu-dit de la commune de Gout-Rossignol au nord-ouest et à proximité de la limite du département, semble appartenir aussi à la série de noms dérivés de Aura/ora.
Ces étymologies sont renforcées par l'étude hagiographique. Nous savons qu'à partir de Ve siècle environ, après que les évêques aient créé l'église mère, c'est à dire celle de la Cité sous le patronage de saint Etienne pour la plupart (Périgueux, Angoulême, Limoges, Cahors etc), ils se sont empressés de fonder aux confins de leur diocèse des églises ayant pour titulaire saint Etienne.
La carte 1 nous montre l'implantation de ces églises. Il est intéressant de voir que parmi ces églises délimitant le diocèse, Firbeix, Eygurande, Orliaguet et Gout-Rossignol figurent parmi elles. Eyrenville est sous le patronage de saint Pierre, dédicace qui est antérieure.
Notons toutefois que Orliaguet était autrefois dans le diocèse de Cahors avec Carlux et d'autres paroisses du secteur. Ceci ne change en rien sa position frontalière, sachant que les évêchés ont varié sensiblement leurs limites, chacun essayant d'empiéter sur le domaine de son voisin.
Les évêques de Cahors ont également marqué leur territoire en fondant des églises sous le patronage de saint Etienne. Près de Orliaguet, au nord de Cazoulès à la limite du département actuel, le village de Saint-Etienne témoigne de cette volonté. (voir carte 1).
Autres toponymes évoquant des limites ( carte 2) :
Parmi les noms de lieux-dits dérivés du gaulois randa > equoranda / iquoranda, J.P.Bost (4), classe les toponymes Eyran-Bas et Eyran-haut, de la commune de Calviac. Auxquels nous pouvons y adjoindre deux noms en raison de leur position géographique : l'Hirondelle, commune de Montcaret, et l'Hironde commune de Saint-Geniès.
La Font des Trois-Evêques, dans la commune de Loubéjac à l'extrémité sud du département, fontaine qui marquait la limite du diocèse d'Agen, de Cahors et de Périgueux, est aussi une indication de limite.
La légende veut que prés de cette fontaine, se trouve une table de pierre où pouvaient manger ensemble les trois évêques, sans sortir de leurs diocèses.
Born-des-Champs: cette commune du canton de Beaumont du Périgord, se situe très exactement sur la limite entre le département de la Dordogne et le Lot et Garonne. La forme ancienne est Bornum XIIIe siècle. On est tenté de faire un rapprochement avec la forme latine bodina, d'où vient l'occitan bouina, et le français borne, d'autant plus qu'au nord du département la forêt et l'étang de Born, (Borz, 1270), servait de séparation entre le Périgord et le Bas Limousin.
Dans la même série nous trouvons, Bourneix, commune de Saint-Saud, Bournet, commune de Bertric-Burée, et un autre Bournet dans la commune de Fontaine. Tous ces villages sont situés à proximité de la limite du département.
La situation frontalière de Parcoul, nous paraît être un élément convainquant quant à l'étymologie du nom composé de parar et de col, et signifiant passage protégé(5). L'ancien chemin taillé dans le rocher peut encore se constater. C'était un lieu de passage inévitable entre le Périgord et la Charente, mais également une marque territoriale.
Notons que le titulaire et patron de Parcoul est saint Martin. Dédicace qui se retrouve toujours sur les lieux de grands passages.
La localisation de tous ces lieux sur la carte de la Dordogne, créés à des époques différentes, fait apparaître nettement que les limites du pays qui fut jadis occupé par les Pétrocores sont restées dans l'ensemble assez stables. Ceci est d'ailleurs confirmé par toutes les cartes de l'ancienne Gaule. Lorsque le diocèse fut créé vers le IVe ou Ve siècle, il épousa la superficie de l'ancienne Civitas Pétrocoriorum. Par la suite, les fondations frontalières qui se sont succédées ont continué a marquer les limites du territoire.
C.B.
Notes
1) Editions Errance. 2003.
2)Voir Bull. S.H.A.P tome 21, page 72
3) Voir article de Fr. Meunier dans Bulletin de la société de linguistique de Paris. Tome 1-2 années 1869-1875. Page cxxxvj.
4). Le Périgord Antique. Dans Higounet-Nadal. 1983.
5). A. Dauzat, Dict. Etymologique des noms de lieux. Dictionnaire des noms de lieux du Périgord, Chantal Tanet, Tristan Hordé. Editions Fanlac. 2000.